Le blog d'EDUCAPSY

Libres chroniques de "la matrice" d'un point de vue psychologique. L'écriture s'en tient au premier jet. Pertinence, précision, concision & vitesse. Telle est la visée. Le ton polémique est délibéré car "le combat est père et roi de tout" (Héraclite).

Saturday, February 04, 2006

Tous paranos ?

Interviewée le 5 novembre dernier dans l’émission Parenthèse sur France Inter, Véronique Campion-Vincent écrit dans un registre sociologique (elle a publié deux essais sur les rumeurs : Légendes Urbaines et De source sûre) et s’est dernièrement intéressée à la parano qui, selon elle, gagne nos sociétés déboussolées. Dans son ouvrage La société parano, elle brosse une série de tableaux sur les théories du complot les plus en vue et fait état de quelques réflexions que des scientifiques ont portées sur la question.

Au plan intellectuel, ce livre est décevant. Il est constitué d’une accumulation d’aperçus rapides, vaguement journalistiques et sans élaboration conceptuelle. On note un étrange déséquilibre dans le traitement : par exemple, les attentats du 11 septembre sont évoqués sur environ une page quand l’hypothèse que la terre est envahie par des hommes-reptiles bénéficie de cinq à six pages. De fait, les X-files, le Da Vinci Code et d’autres élucubrations sur Diana, Hitler etc. colonisent les chapitres et nous laissent sur notre faim.

Tout se passe comme si l’auteur avait voulu éviter la difficile question que se pose le citoyen responsable confronté aux nouvelles du monde : « où est la vérité ? » ou bien « à quelle réalité me demande-t-on de croire ? » (cf. le précédent post sur Harold Pinter). Se lancer dans un combat donquichottesque contre des outres mille fois rempaillées par les tabloïds et les magazines people n’est pas seulement vain ou pusillanime, c’est surtout tendancieux dès lors que ce qui est en question, j’y insiste, c’est in fine la réalité dans laquelle nous vivons.

Car la prise de position tacite de Véronique Campion-Vincent semble bien être que l’événement majeur de ce début de millénaire, à savoir les attentats du 11 septembre 2001, constitue une de ces réalités simples et évidentes que seuls des paranos peuvent envisager de contester. Dans son ouvrage, les hypothèses alternatives à la version officielle se trouvent seulement signalées comme existantes et rapidement associées à toutes les théories plus ou moins exotiques évoquées plus haut. Et cela, sans bénéficier du moindre espace de discussion. Elles se trouvent, en quelque sorte, enterrées vivantes ou « mises à l’asile », alors même que, d’entrée de jeu, notre auteur reconnaissait que les théories du complot sont avant tout le fait des hommes de pouvoir et non pas seulement celui des « allumés » de tous poils.

Bref, quoi qu’on en pense (pour ma part, le plus grand bien), l’hypothèse de Thierry Meyssan méritait bien une controverse, surtout qu’elle s’est trouvée étayée par d’innombrables prises de position de citoyens ou d’organisations étasuniennes. La possibilité que Bush ou plutôt le complexe militaro-industriel nord-américain ait quelque chose à voir avec le 11 septembre n’est, après tout, pas si invraisemblable que cela ; de fait, 50% des new-yorkais voient les choses ainsi — cf. le livre remarquable de minutie et de pondération de David Ray Griffin qui montre que les omissions et les manipulations présentes dans le rapport de la commission officielle d’enquête sur les attentats du 11 septembre constituent un des indices les plus sûrs de l’implication du pouvoir.

Pourquoi Véronique Campion-Vincent a-t-elle évité d’entrer dans ce débat alors qu’il se tient au cœur de sa problématique ? Il n’y a pas de raison de penser que l’importance et le caractère peut-être inextricable de la documentation s’y rapportant aient pu constituer un obstacle. Les chercheurs en sciences humaines ne sont généralement pas arrêtés par cela, au contraire. Mon hypothèse est simplement que notre sociologue ne s’est pas sentie le courage de mettre en balance ce qui nous tient peut-être le plus à cœur : la réalité dans laquelle nous pensons vivre. Le fait qu’elle puisse être le résultat d’une construction sociale reste toujours un objet de scandale, une pierre d’achoppement, même pour ceux que l’on pourrait croire les mieux préparés à affronter cette possibilité — je pense en particulier aux journalistes qui connaissent la grande cuisine des médias et semblent pourtant croire encore à la notion d'information et à leur propre objectivité, d'où le sincère étonnement de certains vis-à-vis du fait que Le Monde ait peu commenté le livre "La face cachée du Monde". Il fera chaud le jour où les journaux feront de l'information sur la manière dont ils construisent l'information. Car ils savent que ce n'est pas ce que demande le lecteur, qui veut "savoir", c'est-à-dire, pouvoir croire qu'il sait.

Nous n’imaginons pas à quel point il est crucial pour nous de maintenir le sentiment d’être en prise sur le réel, le sentiment d’avoir une perception plus ou moins correcte du monde. Notre sécurité mentale en dépend de manière vitale. Et/car ce que nous appelons la réalité n’est autre que ce sur quoi nous nous imaginons en accord avec tous les autres. Si la réalité est perdue, cela signifie que nous ne savons plus où se trouvent les autres auxquels nous pourrions nous raccrocher. Nous avons alors à penser seuls et cela, nous n’en avons pas l’habitude. D’où cette nausée quand le monde bascule et que nous perdons nos repères. D’où la difficulté à entendre ces affreux théoriciens du complot qui, par leurs arguments, viennent faire vaciller nos certitudes confortables. Nous pouvons très vite devenir mauvais à leur égard. Ce sont des paranos, des fous. Au secours !

Tel des bernard-l’hermite paresseux nous ne voulons pas quitter les vieilles coquilles de nos réalités simplettes mais si confortables. Ces réalités bâties par les puissants, leurs médias et la foule des suiveurs, nous y adhérons, les yeux fermés. Nous pouvons ainsi continuer de méconnaître les violences sur lesquelles elles se fondent. Nous pouvons continuer de croire en l’accusation pour ensuite acter volens nolens une violence tenue pour légitime.

« Qui veut noyer son chien l’accuse d’avoir la rage » ! De Néron à Hitler, l'histoire est replète de complots grâce auxquels le pouvoir accuse un groupe d'un crime qu'il a lui même commis afin de s'en débarrasser en toute légitimité. Comment, en ces temps passablement apocalyptiques, ne pas voir l’actualité de ce proverbe aux résonances évangéliques ? Qui ne voit qu’en septembre 1999 le gouvernement russe a accusé les tchéchènes d’une série d’explosions dans Moscou et ses environs pour déclencher la deuxième guerre de Tchéchénie, ce qui vaudra au premier ministre, M. Vladimir Poutine de se faire élire triomphalement l’année suivante ? Quand on nous dit que le FSB (ancien KGB) est probablement impliqué dans ces attentats (cf. le site Terror99), nous ne sommes pas surpris outre mesure. Nous sommes habitués à penser que les russes sont capables de tout — tant qu’a duré la guerre froide, ils étaient l’ennemi. De même, qui ne voit qu’aux yeux du gouvernement des Etats-Unis les Irakiens avaient la rage ? Entre gens raisonnables, il n'est pas trop difficile d'arriver à un accord sur ces sujets délicats.

Mais mettez en oeuvre cette logique manipulatrice vis-à-vis des attentats du 11 septembre et vous verrez vos amis pousser les hauts cris. Nous ne sommes pas éduqués à penser que les étasuniens sont capables de tout. Ce sont nos amis après tout. Et nous sommes du bon côté de la barrière, n’est-ce pas ? Pensez autrement, c'est changer de réalité. Et beaucoup s'y refusent.

Dès lors, il vous restera à choisir : ou vous la fermez ou vous dites ce que vous pensez. Je vous déconseille vivement cette dernière option. Vous risqueriez de passer pour un parano ou un imbécile. Mais peut-être êtes vous prêt à changer de coquille et à en assumer les conséquences ?

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