Le juge Burgaud n'est pas un bouc émissaire
De fait, tout le reste n'a été que pure réthorique ; elle a consisté, en substance, dans les propositions suivantes :
- Le juge Burgaud serait un bouc émissaire ! (activation sans frais du schème victimaire (Girard, 1972, 1978) ; sous-entendu : l'accusation est fausse car l'accusé est en position de faiblesse, c'est un lampiste. Mais rien n'est moins vrai. Il est bien le principal (certes, pas le seul) acteur de la tragédie)
- Tout le monde parle librement à tout moment : le secret de l'instruction n'est pas respecté (mais il ne s'agit pas ni d'une instruction ni d'un tribunal, dès lors, non seulement on peut, mais jusqu'à un certain point, on doit parler librement. Le brainstorming est efficace à cette condition)
- La commission a cherché à mettre le juge en difficulté (il faut bien questionner le responsable (je n'ai pas dit le coupable) dès lors qu'il ne sait pas lui-même le faire ("j'ai été honnête") et qu'un désastre attend une explication)
- Le juge Burgaud a été broyé (jusqu'à preuve du contraire, il n'a juste eu qu'à donner des précisions sur son "fait". On est broyé quand est accusé injustement et implacablement. Seuls les accusés d'Outreau l'ont été. Cette confusion est tout simplement indécente)
- Le juge Burgaud est fini professionnellement, il n'aura plus d'"autorité" (N'était-ce le contexte tragique, il serait presque amusant de voir ce terme ressortir ici, tant il est "tarte à la crème" à force d'actualité et de polysémie. Le problème de l'autorité est qu'elle souvent entendue comme le "droit" d'exercer un rapport de force. Si Burgaud perd cette "autorité" là, alors, assurément, la justice y aura gagné)
- Les "avocats" de Burgaud n'ont pas défendu (ah bon, c'était des avocats ? Mais alors c'était un procès ? Non, ce n'était pas un procès, il n'y a pas d'accusation, il n'y aura pas de verdict, pas de condamnation et pas de peine).
Ce que ce monsieur demande, ce sont "des avocats, des juges. Des vrais. Des professionnels responsables parce qu'ils savent que le droit, la justice, ne sont pas des données, mais le fruit de ce qu'ils sèment, tantôt le calme, tantôt la tempête. Quand on a la vie de personnes entre ses mains, on ne peut pas ne pas retourner sa conscience dans tous les sens avant de décider. Après, c'est parfois trop tard. Former d'abord les juristes au droit, plutôt que de réformer sans cesse les lois, n'est-ce pas la priorité ?"
Que comprendre à cette vibrante saillie ? :
- Il y a nécessité de juristes formés (soit, mais cela va de soi).
- Qui sauront se retourner la conscience dans tous les sens quand, tenant la vie de personnes dans leurs mains, ils auront à décider (ça ne vous inquiète pas vous cette toute-puissance ? Moi beaucoup. Je ne souhaite pas qu'un individu ait à se torturer la conscience avant de décider de ma vie. Je préfèrerais de beaucoup que le débat soit partagé et codifié. Pas vous ? En tant que psychologue, je ne crois pas une seule seconde qu'un individu puisse soutenir des "cas de conscience" jour après jour et je n'en vois pas l'intérêt. Autrement dit, les règlements, la loi, les codes, c'est pas faire pour les chiens. C'est fait pour donner des repères et éviter les situations de toute-puissance qui prêtent à toutes les dérives. Qu'un juriste puisse passer à côté de cela ne laisse pas d'inquiéter)
Ça c'est vraiment la cerise sur le gâteau. Pourquoi ne pas clamer aussi, comme l'église catholique le fit naguère à l'égard du peuple juif, que le juge n'a pas de compte à rendre à "ses victimes" mais seulement à Dieu ou à je-ne-sais-quelle idée métaphysique de la Justice ?
N'oublions pas qu'il y a ici des "victimes". Et le juge Burgaud n'est pas au rang de celles-ci. Il me paraît légitime qu'une commission recherche des solutions techniques pour que le facteur humain, que M. Bertrand de Belval semble tant priser, puisse être encadré.
Imaginez un pervers narcissique dans la position de juge. Il a constamment besoin de croire qu'il a raison et ne peut assumer l'idée qu'il puisse se tromper, encore moins être en faute. Dès lors, à tout moment, il est convaincu qu'il a raison et il fait usage de tous les moyens pour amener les autres à sa raison (du plus fort, qui est toujours la meilleure, comme chacun sait). Un tel juge est un danger public. Une machine à broyer en toute légalité.
Si l'on pouvait écarter les pervers narcissiques de la profession de juge, ce serait assurément un gain non négligeable pour la justice de ce pays car l'"ivresse du pouvoir" est, en soi, suffisamment grisante, pour ne pas laisser ceux qui en sont déjà dépendants s'y adonner sans garde-fous. Mais si j'avais à proposer des solutions, ce ne serait pas forcément un test de personnalité avec un psychologue diplômé (et non pas un gestionnaire de ressources humaines ad hoc).
Je m'interroge sur l'instruction à charge et à décharge. Dans son principe, elle exige la capacité à entretenir une dissonance entre des perspectives contradictoires. Tous les psychologues savent que c'est là chose coûteuse. Nous sommes construits pour fuir la dissonance. Dès lors, pourquoi ne pas avoir deux juges d'instruction ? Un à charge. L'autre à décharge. Ainsi, la qualité de la défense ne dépendrait pas de la fortune de l'accusé, comme c'est le cas dans les systèmes anglo-saxons qui ont, eux, réduit la dissonance par l'assignation du juge à la seule mission d'accuser.
Je sais qu'on me dira que c'est impossible pour mille raisons. Je ne dis pas que cette solution est la meilleure. Je suis bien trop ignorant des choses de la justice pour avoir cette prétention. Mais je suis prêt à discuter de chacune de ces mille raisons. La justice est un combat qui mérite bien cela, n'est-ce pas ?