« Sans repentance, il n’est pas de rédemption possible ». De Confiant à Sarkozy en passant par Schwarzenegger.
Au soir du 6 mai 2007, à peine le verdict des urnes venait-il de tomber, Nicolas Sarkozy prononçait une allocution dans laquelle il affirmait que la repentance était une forme de « haine de soi ». Le 10 mai, sa participation à la journée de commémoration de l’esclavage et de son abolition a suscité autant de railleries que d’interrogations de la part de ceux qui, inattentifs au sens de mots ou prenant leurs désirs pour des réalités, ont vu là une forme de contradiction avec la précédente déclaration. Or, il n’y en avait aucune, bien sûr. La repentance est une chose, la mémoire une autre chose. La première nécessite la seconde, mais la réciproque n’est pas vraie. Elles ne sauraient donc être assimilées l’une à l’autre.
Le fait qu’une telle confusion ait pu avoir cours sans, à ma connaissance, susciter une quelconque mise au point, m’amène à reprendre un texte non publié inspiré par la controverse qu’a suscité en décembre dernier le soutien qu’a apporté Raphaël Confiant à Dieudonné après la visite de ce dernier au Front National. Les questions soulevées et les réponses proposées, bien que trop rapides, devraient éclairer, aussi peu que ce soit, quelques éléments de cette logique psychosociale qui rend la repentance nécessaire et qui la distingue du simple devoir de mémoire. La visée du texte qui suit est donc didactique bien plus que polémique. Il s’agit en somme de comprendre pourquoi, contre les évidences premières, c’est Raphaël Confiant qui doit être entendu et non pas Nicolas Sarkozy.
Un ami tunisien me disait un jour que selon un proverbe arabe : « ce qui sort d’entre la peau et l’ongle, ça sent toujours mauvais ». La dernière controverse autour de Raphaël Confiant fut brève mais vive et rend périlleuse toute tentative pour s’immiscer dans un (non) débat entre des protagonistes de longue date.
Je voudrais pourtant me risquer à une réflexion inspirée de la perspective anthropologique de René Girard, élu il y a peu à l’Académie Française, dont la pensée apporte ici, me semble-t-il, un éclairage nécessaire.
Cet auteur a en effet émis l’hypothèse selon laquelle un mécanisme de bouc émissaire se serait trouvé au fondement des cultures humaines. Ce mécanisme aurait assuré la stabilité de communautés mises en péril par une tendance mimétique menant au conflit généralisé de tous contre tous. Au plus fort de la crise, les groupes humains auraient trouvé à se rassembler dans une violence unanime contre une victime qui, accusée de tous les maux et tenue pour responsable de l’ensemble du processus, se serait trouvée réduite au silence car tuée ou plutôt sacrifiée et donc bien incapable de contester la perspective proprement mythique des persécuteurs.
Toutefois, ce mécanisme, dont Girard a retrouvé la trace dans les principales mythologies, aurait été rendu inopérant par la révélation chrétienne de cette violence originelle. En effet, la capacité à voir les victimes et à témoigner de leur innocence empêche la réalisation d’une unanimité accusatrice au sein du groupe. La victime ne pouvant plus être tenue seule responsable des troubles qu’a connu le groupe, la violence intestine ne pourrait plus être évacuée vers le « sacré » et resterait dans la communauté, retombant, en quelque sorte, sur la tête de ceux qui s’y sont adonnés.
La thèse girardienne souligne ainsi le fait que la réconciliation d’une société passe nécessairement par une unanimité vis-à-vis de la représentation de la violence qu’elle a connu. Unanimité qui, seule, permet de tenir cette représentation comme une vérité et donne ainsi le sentiment de s’adresser à une réalité dont la principale fonction est de redonner à chacun un sentiment de réassurance ou de contrôle dans la dynamique de ses interactions avec le monde. On peut ainsi comprendre que la situation de désaccord entre les persécuteurs et la (les) victime(s) soit douloureuse pour les deux parties en ce que, précisément, elle les prive, l’une autant que l’autre, de cette rassurante réalité. Tous aspirent à l’unanimité, à la réconciliation, mais comment y parvenir ?
En mai dernier, à Ottawa, un colloque girardien avait précisément pour finalité de penser les conditions de possibilité d’une réconciliation qui ne procèderait pas d’une unanimité violente contre une victime sacrificielle. J’y ai proposé l’idée que la seule alternative à l’unanimité contre la victime était l’unanimité avec la victime. Ce qui, on le comprend aisément, suppose la reconnaissance pleine et entière de la violence perpétrée par ceux-là même qui en ont été les auteurs. Il me semble que c’est la condition sine qua non de toute réconciliation non-violente.
Les tribunaux sont probablement le lieu où le pouvoir de réconciliation de cette reconnaissance de la violence par son auteur est le plus évident. Ainsi, lorsqu’en scéance publique, un tueur en série comme Guy Georges accepte enfin de reconnaître qu’il est l’auteur d’un crime, l’unanimité des représentations est rétablie, chacun a le sentiment de retrouver la réalité et le soulagement semble confiner à une forme de gratitude émue de la part des familles des victimes qui vont enfin pouvoir accomplir le travail de deuil.
A l’inverse, le déni de l’accusé laissera toujours un désastreux sentiment d’inachevé ou d’inaccompli car l’unanimité faisant défaut, la réalité manque aussi. Seul persiste le conflit des représentations. La société a tellement besoin de ces aveux qu’elle offre de grands avantages à celui qui plaide coupable et sanctionne sévèrement celui qui refuse. Songeons à Stanley Tookie Williams que Arnold Schwarzenegger, gouverneur de Californie, a laissé exécuter le 13 décembre 2005 parce qu’il avait refusé de reconnaître sa culpabilité et que « sans repentance, il n’est pas de rédemption possible ».
Ce caractère « avantageux » de l’aveu persiste étrangement même dans le cas où c’est un peuple ou une société tout entière qui doit se battre la coulpe. Ainsi, après la deuxième guerre mondiale, une véritable réconciliation a eu lieu parce que la nation allemande a pleinement assumé sa responsabilité, notamment dans la mise en œuvre des camps d’extermination.
Il semble important de souligner ici que sans cette reconnaissance pleine et entière de la violence faite par celui qui en est l’auteur, il n’est pas de réparation qui vaille. On peut ainsi penser qu’à l’instar de ces enfants gâtés par des parents qui se sentent coupables de ne pas leur donner l’attention dont ils ont besoin, les communautés indiennes d’Amérique du nord « bénéficient » d’une multitude d’avantages qui contribuent mieux que n’importe quoi à leur désagrégation morale et psychologique car, en définitive, l’essentiel fait défaut, à savoir, une reconnaissance officielle de la tentative de génocide dont elles ont été victimes.
Le texte que Raphaël Confiant a fait circuler en décembre dernier peut, me semble-t-il, être analysé en suivant ce fil d’Ariane de la responsabilité assumée et repentante de l’acte violent car il contient essentiellement deux propositions qui sont très significatives sous ce rapport.
La première renvoie au culot de ceux qui ayant « génocidé », « esclavagisé », gazé etc., viennent donner des leçons de morale à ceux qui furent leurs victimes directes et n’ont eux-mêmes jamais commis des atrocités de cette ampleur. Confiant dit tout à la fois être admiratif et rire devant un tel culot.
La seconde traduit l’immense déception et la colère qu’a engendré le fait de constater que le peuple qui a subi l’Inquisition, les rafles, la déportation et les camps d’extermination s’est en quelque sorte désolidarisé de ses frères de misère.
Il y a là deux réactions dont le caractère incroyablement disproportionné pourrait être lu dans le sens cette supposée « judéophobie noire » s’il n’était évident que se mettre en colère contre un frère que l’on tient pour traitre est une réaction finalement assez juste.
C’est au contraire la réaction de Confiant aux donneurs de leçon Euro-américains qui apparaît trop clémente pour ne pas nous interpeller. Comment une personne plutôt portée au discours rebelle peut-elle se déclarer admirative et se contenter de rire devant le culot de donneurs de leçons représentants et héritiers de ceux qui ont massacré et « esclavagisé » ses ancêtres ?
L’absence de toute récrimination, de toute révolte devant l’injustice d’une telle situation alors que, nous dit-on, nous sommes dans une société qui donne de plus en plus la parole aux victimes, cela fait signe. On peut penser que, par là, Confiant témoigne, en creux, d’un indicible : celui de la reconnaissance, de la repentance et de la réparation du fait esclavagiste. Question qui reste à l’heure actuelle un impensé ou un réfoulé social et s’est, par exemple, trouvée écartée de la récente loi faisant de l’esclavage un crime contre l’humanité.
Pourquoi Confiant reste-t-il muet sur cette question vive ?
Je n’ai pas de réponse à proposer, seulement un parallèle avec l’attitude quasiment « christique » des représentants des nations indiennes qui, lors du colloque girardien mentionné plus haut, sont venus faire le récit des violences subies par leurs peuples et exposer les conséquences sociales et psychologiques qui continuent d’en découler. Outre le caractère dépassionné et non violent de leur exposé, ce qui était particulièrement saisissant, c’était l’absence de toute revendication particulière, comme si leur seule aspiration se trouvait d’emblée satisfaite par le fait de pouvoir retracer leur histoire devant une audience attentive, comme s’ils ne pouvaient aller au-delà, comme si, en somme, ils se devaient d’attendre que ceux qui ont une place, et plus exactement des responsabilités dans cette histoire de violence, viennent spontanément la prendre pour assumer leur statut d’auteur et refermer enfin les plaies restées ouvertes depuis.
Il me semble en somme que ce qui a pu être accompli en ce qui concerne l’holocauste juif doit l’être aussi pour tous les autres peuples qui, de Pékin à Santiago du Chili portent encore dans leur chair et leur esprit la trace des violences perpétrées par les nations européennes et leur descendance américaine dans l’accomplissement de leurs visées génocidaires, esclavagistes et colonnialistes.
Ce peuple qui désigne son Dieu comme « celui que l’on ne peut nommer », ce peuple dont je suis aussi, a une responsabilité particulière. Sur ce point encore, Raphaël Confiant a raison et doit être entendu plutôt que d’être l’objet de tristes, vaines et injustes remontrances.
A quand donc la reconnaissance de son fait esclavagiste par la république ? A quand une repentance officielle pour le fait colonnialiste et le cortège de violences de tous ordres qui l’ont accompagné ? Et comment réparer ? Ces questions ne doivent-elles pas être posées si la paix est bien ce que nous visons ? La récente levée de bouclier contre les propos de Jack Lang en Algérie laisse à penser que nous avons encore un long chemin à accomplir. Il n’est que temps de nous mettre en route.
Il n’y aucune haine de soi dans la repentance. Tout au contraire, seul celui qui a suffisamment confiance en lui est capable d’accomplir cet acte difficile. Celui qui est porteur de fragilités narcissiques ne pourra assumer d’apparaître en faute. Il sera dans le déni, la diplomatie, la démagogie ou la ruse. Il convient donc de se demander si la France a la force nécessaire pour assumer son passé comme les allemands ont assumé le leur. Combien de temps pensons-nous pouvoir tourner le dos à nos responsabilités ? Les croisades sont encore dans les mémoires des peuples arabes. N’en doutons pas, les violences esclavagistes et colonialistes resteront quoi qu’il arrive dans les mémoires. Ne pourrait-on faire en sorte que cela se fasse dans la paix d’une véritable réconciliation ?
1 Comments:
"unanimité avec la victime", mais, le retors subconscient des instincts humains fait plus que souvent que les apitoyement sur une victime se transforment aussi sec en haine collective viscérale et aveugle contre le coupables, et en chasse aŭ sorcières, envers un coupable unique "le méĉant affreŭ, fou tueur à la Détective/Paris-Matĉ brrr !!" ou collectif (conceptuel, puis purement verbal, il y en a actuellement, très instrumentalisés ) lequel est bien entendu réduit au silence, (la victime aussi d'ailleurs souvent, on parle à sa place); et le tour est joué on est encore dans le premier syndrome !
C'est peut-être la seule porte de sortie, mais en tout cas très facile à manquer.
à moins que le coupable soit soi-même (quoique là aussi il peut y avoir des effets nocifs, les psyĉologues le savent, à notre époques peut-être trop même); c'est une position, centrale au ĉristianisme (je pense que c'est justement la thèse de Girard, si j'ai bien compris) mais actuellement plus du tout à la mode, au contraire ! il est de bon ton depuis quelques décennies de stigmatiser sans appel le sentiment de culpabilité, en psy c'est presque devenu le mal absolu, à pourĉasser sans pitié, et de ĉerĉer à nous en "guérir" à nous convaincre de n'avoir que des "pensées positives", etc.
Post a Comment
<< Home